J'ai entendu des récits de voyages, des humeurs dans le vent. La marée apporte régulièrement à Recife les rebus ivres du royaume et du nouveau monde, comme dit papa. De grands types qui puent l'alcool de canne et la sueur se promènent toute la journée sur le port avec dans l'idée de monter sur la première coque de noix venue. Certains sont plus paumés que le rectum des statues de l'île de Pâques, comme dit papa, et pourtant... Y'en a qui parlent tout bas, pas pour parler d'enfreindre la loi. Y'en a, des qui sentent plutôt le rhum et la joie de vivre. y'en a, des qui se promènent, un grand carré blanc sous le bras. Y'en a, des qui se découvrent devant les dames que je sais pas trop encore ce qu'elles font mais qu'on m'a dit que je le saurai bien assez tôt si j'étais un homme. En tout cas, ceux-là, c'est les seuls à se découvrir devant. Et à dire bonjour aux nègres. Ils doivent être super importants pour avoir le droit de leur adresser la parole. Moi, Mère me l'interdit. Elle dit qu'ils sont trop occupés pour me répondre et qu'ils ne comprennent pas ce que je dis. Un jour, je veux être un homme et me découvrir devant les madames, et parler mieux que maintenant pour pouvoir dire bonjour aux noirs. C'est des marins comme ça que je guette pendant que je fais les chaussures des gras du cul qui sentent de la bouche. Aujourd'hui je cire un rupin qui me file un réal. Il doit être bourré. J'enfouille la pièce et je continue à scruter le port pour un de mes oncles. J'ai pas d'oncle mais si j'en avais, ils seraient comme ces types-là. j'en vois un qui monte sur un des sloops amarrées à une encâblure. Lui aussi y porte un drap blanc. Il disparait sous le pont, et c'en est un autre qui sort avec le drap. Les amarres sont larguées. J'aimerais bien aller avec eux. Ils ont hissé le drap sur le mât. à vue d'oeil ils partent pour l'Afrique. Un jour j'irai dire bonjour aux gens là-bas et j'monterai sur un sloop au pavillon blanc, c'est plus propre. Et puis je m'battrai parce que j'ai un sabre. j'sais pas cont' qui mais c'est pas les forbans qui manquent en mer. C'est papa qui le dit. Moi je trouve qu'on manque pas de forbans sur terre non plus. Au moins, entouré de flotte, on risque pas d'être cerné par les cons.

Je m'battrai si des gens qui sont pas papa ou maman veulent me dire quoi faire, je m'battrai si y'en a qui tapent des petits, comme je le fais au champs quand les copains volent des pommes. Je m'battrai si on veut me faire croire qu'un réal ça vaut mieux qu'une soupe et un lit chaud.

Je retourne à mon labeur parce que le jour tombe et il faut pas que je rentre tard. Les madames font de plus en plus de bruit, et j'ai un peu froid. Il faudra que je pense à affuter mon coutelas.

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